Glauque

(Re-édit d’un texte trouvé on ne sait comment)

Un matin, deux personnes se retrouvent hospitalisées dans la même chambre, condamnées à rester alitées pour des raisons graves.

L’un est près de la fenêtre et l’autre non.

L’homme ne pouvant apercevoir l’extérieur, demande tous les jours à son compagnon de chambre de lui dire ce qu’il se passe dehors. L’autre, avec beaucoup de patience et de poésie, s’exécute avec plaisir malgré une fatigue extrême.

Chaque jour qui passe, il lui décrit alors passionnément nombre de scènes différentes avec une infinie beauté comme le vol des moineaux joueurs, les rires de l’enfant qui joue avec un grand-père plus enfant que lui ou encore, les tendres baisers de jeunes amoureux s’enlaçant sous l’ombre rafraîchissante de grands arbres majestueux. Tous les récits de l’homme sont d’une magnifique précision : la couleur des fleurs, leur parfum et même l’effet que cela procure aux gens qui prennent le temps de s’arrêter pour les respirer.

Malgré toute la gentillesse du compagnon « poète », l’autre éprouve une jalousie grandissante à son égard car n’étant pas à sa place. Bien sûr, ils ont bien essayé de demander de changer de place mais l’administration hospitalière leur a répondu que c’était comme ça et pas autrement. Que c’était déjà bien qu’ils aient une place, alors qu’il la garde point final !

Une nuit, sans que personne ne s’en rende compte, une jeune infirmière fatiguée par trop de travail et bien peu de reconnaissance, écartant malencontreusement l’interrupteur d’alerte du lit du « poète ». Celui-ci, avant de s’endormir souhaita bonne nuit à son partenaire, muet de colère, en lui glissant doucement, comme une caresse sur le coeur, qu’il n’oublie pas que, malgré leur état, tout avait un sens et qu’il fallait tirer le meilleur des choses chaque jour. Cette même nuit, le conteur s’éveilla brusquement en train d’étouffer et chercha à tendre la main vers l’interrupteur inaccessible. L’autre se réveilla en même temps, observa la scène sans bouger et, pourtant à portée de son interrupteur, ne sonna pas l’alerte pour donner une leçon à celui « qui voyait ». Le poète décéda cette nuit-là faute de secours et sa place fut donnée à l’autre homme alors réjouit de cette situation tant attendue.

On l’installa confortablement, et lorsque que le personnel fut sorti, il tourna doucement la tête vers la fenêtre comme pour mieux en profiter. Une fois le geste accompli, il se mit à pleurer de tout son corps et décéda peu de temps après.

Dehors, les seules choses qu’il vit ce jour-là furent une autoroute hideuse et de sinistres usines grises.

 

 

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