Tout le monde y pense

Ma mère tricotait une chaussette en causant et je l’entends qui dit « La Vouivre, je ne voudrais pas être d’elle. Une fille qui ne meurt pas, ce n’est pas à faire envie ; quand on est de faire une chose, si on n’en voit pas venir le bout, on ne sait pas ce qu’on fait et on ne fait autant dire rien. »

 Une expression de curiosité un peu inquiète anima les yeux verts de la Vouivre. Arsène poursuivit, plutôt pour lui-même que pour elle.

 

« Et moi, je me pensais qu’elle avait raison. Je la regardais qui tricotait sa chaussette. Je me disais que si elle n’avait pas eu déjà dans l’idée ce que serait le bout de la chaussette, son travail n’aurait pas ressemblé à grand-chose. Je me disais aussi que la vie, c’est pareil ; que pour bien la mener, il faut penser à la fin.

        C’est des idées de curé, murmura la Vouivre. Vous y pensez souvent, vous autres, à la mort ?

       Encore assez, dit Arsène après un temps de réflexion. Je crois qu’on y pense tout le temps, même quand on n’y pense pas. C’est peut-être ça qui se trouve dans nos têtes, comme tu dis, et qui n’est pas dans la tienne. Je croirais même que ceux qui savent le mieux y penser, à la mort, c’est ceux qui savent le mieux faire leur vie aussi et ranger tout ce qu’il y a dedans ».

 

Marcel Aymé, La Vouivre

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